Massow Ka-El Junio : La dignité comme principe de création artistique
Par Estrella Sendra (Correspondance particulier)
Massow Ka-El Junio à l’Institut Français après la projection de son film Yaram dans le cadre du Festival Saint-Louis Docs le jeudi 4 mai (Photo : Estrella Sendra, 4 mai 2023).
Saint-Louis est en plein session festivalier. Avec l’arrivée du festival de jazz le 25 mai, c’est presque impossible de marcher sans sentir une trace d’art dans cette ville référence de la culture. Ainsi, Saint-Louis constitue une source d’inspiration pour les artistes qui l’habitent. On rencontre Massow Ka, dit El Junio, un jeune artiste audiovisuel de 33 ans, pour lequel Saint-Louis est toujours le point de départ de tous ses projets. Il fut sa première exposition photographique en 2017, Ndar, sama naatal, à l’Institut Français de Saint-Louis. « Ndar, c’est mon reflet », affirme-t-il l’artiste. Intéressé toujours par le regard vers Ndar, il utilise l’image pour traduire ses sentiments et son regard : « L’écrivain ou le chercheur a son stylo à écrire. Moi, j‘ai les images et la lumière. » Un travail avec lequel Massow Ka questionne comment on est en train de codifier que Saint-Louis est la plus belle ville.
L’artiste saint-louisien a une présence assez caractéristique, on dirait, caméléonesque. Il devient partie de l’environnement. Il observe, il écoute, patiemment, souvent modestement caché sous un foulard du couleur du ciel, jusqu’au moment de faire sortir sa caméra, initiatrice d’une conversation sincère, transformatrice, appelant à l’action. « J’aime bien la conversation. Elle est une thérapie », raconte l’artiste. Son vrai nom, Massow Ka, a été dévoilé il y a juste quelques ans. El Junio est son pseudonyme artistique, la manière dont certaines gens le connaissent, un dérivé de Keys Junior, qui ramène aux temps où il faisait le rap à l’école, et était connu comme le petit frère de Keys. Mais son regard, autant engagé que respectueux, s’impose à la scène Saint-Louisienne, pour la faire référence du monde.
Massow Ka partage la particularité de sa technique visuelle : « Pour moi la photographie est un acte de dignité. Il s’agit d’une immersion du regard dans le corps de la personne à qui on prend une image. » Et c’est précisément cette si généreuse et respectueuse prémisse celle qui réussit à archiver et élargir la déjà attribuée beauté à cette ville, pas pour rester dans cette dimension esthétique, mais en tant que prétexte pour ouvrir un débat et poser des questions à répondre.
Yaram, Prix Wido dans le Festival Saint-Louis Docs’
C’est comme ça que l’artiste nous offre aussi son regard en mouvement avec le film Yaram. Ce court-métrage est son premier film diffusé dans un festival, mais l’artiste avait déjà fait une première production audiovisuel à l’Université Gaston Berger, sur la surpopulation à Saint-Louis. Yaram est le nom d’une jeune femme qui habite à Xaar Yalla, déplacée de Guet Ndar à cause de la situation climatique de la montée de la mer, mais aussi, yaram signifie ‘corps’, celui dans lequel Massow Ka s’est immergé pour s’approché à la question de la côte, qui est étroitement liée à l’existence de Saint-Louis. Le film, de 26 minutes de durée, a été primé avec le Prix Wido dans le du Festival Saint-Louis Docs au début du mois de mai, en soulignant son engagement à la ville. Pendant le festival, le film a commencé son voyage autour la ville, de Gandiol à Guet Ndar, ainsi que la salle de l’Institut Français, en générant de débats avec une population trop familiarisé avec cette situation, mais qui n’a pas pourtant assez d’espace pour partager leurs avis par rapport à ça, et réfléchir ensemble sur l’avenir de la Langue de la Barberie.
Le réalisateur, toujours présent et disponible à échanger avec le public, considère que « la transmission est un devoir ». Il souligne la richesse des débats lors du Festival Saint-Louis Docs, qui continuaient hors de salles et temps donné pour la discussion dans le festival. Certaines demandaient la suite, d’autres, de la projeter encore dans leur village. « J’aimerais tellement que le film continue à être diffusé à Saint-Louis, au Sénégal et partout le monde. C’est un film qui pourrait contribuer à la perception du changement climatique ainsi qu’au phénomène de l’émigration, qui est souvent une conséquence de la situation climatique », partage le réalisateur. Mais aussi, il partage la signification si spéciale du Festival Saint-Louis, ainsi que de l’Institut Français, où il est né en 1990, et grandi jusqu’à l’âge de 4 ans, à cause du travail de son père, et où il montrera sa première exposition et son premier film. « Le Festival Saint-Louis Docs est aussi de grande importance pour moi. J’ai commencé en tant que spectateur, pour après être le photographe de deux affiches du festival, membre du jury, et puis, cette année, réalisateur ».
La dignité à la base de la création artistique
Le travail photographique de Massow Ka-El Junio, semble évident dans Yaram, avec des images de la Langue de la Barberie à travers un plan au niveau de l’œil de l’oiseau qui nous rappelle à sa première exposition, Ndar sama naatal. Pourtant, ce qui fait de ce film un documentaire militante c’est l’application du principe de la dignité à la base de la création artistique, cette attention et soin aux plus petits détails autant pour la technique que par les sujets, où la mer et la ville sont aussi des sujets à respecter. La caméra devient ainsi une voisine, un témoin, une alliée, un confident, un espoir, une arme de lutte pacifique pour la récupération de la dignité de la population de Saint-Louis. Le mouvement des vagues, ce son qui démarre le film, commence une structure d’aller-retour, qui reflète le mouvement de la population, déplacé de La Langue de la Barberie à Xaar Yalla (en attendant Dieu), ainsi que de cet emphatique artiste visuel engagé à connaître et faire connaître leurs vies, en tant qu’habitant du Saint-Louis et du monde. « La Langue de la Barberie est une source d’inspiration pour moi », affirme-t-il. D’après l’artiste, elle est d’une importante inestimable pour la ville de Saint-Louis : « Je me posais la question : si l’avancé de la mer n’est pas stoppée, on risque de perdre Saint-Louis. Si on parle de l’ile de Saint-Louis, on parle aussi de Guet Ndar, donc si on perd Guet Ndar, c’est Saint-Louis qui va disparaître. Donc, qu’est-ce que Saint-Louis va-t-il devenir avec les questions climatiques ? Le film invite à se pauser, à prendre le temps d’écouter l’histoire de Yaram Sene, pour ainsi réfléchir sur la question économique de cette situation environnementale de la brèche. À la suite d’une scène où on imagine une journée où l’eau ne doit pas être payée, Yaram, raconte que le coût de l’eau est de 1000 FCFA par jour, un bien qui devient un lux, et que pourtant faisait partie de leur quotidien à Guet Ndar, entouré par l’eau. Ce n’est pas par hasard alors de trouver un extrait du journal télévisé où Macron promet d’aider au Sénégal, un responsabilité à assumer et attendue toujours par les communautés déplacés.
Une création activiste et féministe
Le fait que ce film existe évidence la vision de Massow Ka du cinéma en tant qu’activiste, étant donné que le premier tournage du film a été perdu à cause d’un problème technique au niveau de post-production. « C’était ce premier tournage que j’aimais le plus. Il y avait plus d’âme, des choses méga naturels. Et même si j’étais un peu découragé après avoir perdu les données, je me suis dit, je ne peux pas rester sans raconter leur histoire ». Massow Ka était d’abord arrivé avec sa caméra pour s’approcher de la population.
Pour lui, la caméra est une arme de rapprochement. Déjà avec sa mère, le jeune artiste a créé un rapport intime, surtout après la période de confinement pendant la Covid. « Elle est toujours la première spectatrice de mon travail, et chaque fois si je fais une exposition, elle est toujours là », raconte l’artiste, avec une claire admiration et affection à sa mère. Dans le film, ainsi que dans son travail sur le sel, l’or blanc, exposé dans le Centre de Recherches et de Documentation du Sénégal à la Pointe Sud de l’île, il y a un focus sur la femme. « Il y a un choix féministe que j’assume de travailler seulement avec des femmes, parce que ce sont elles qui restent à vivre à Xara Yalla, quel que soit la condition. Et je me pose la question : quelle est la force de la femme dans cette situation climatique ? », commente Massow Ka.
Une question similaire à celle posée à travers son œuvre L’Or Blanc, qui revendique la valorisation du si important rôle économique de la femme dans le travail du sel, un produit indispensable pour la vie quotidienne, et dont la femme a dû lutter pour être rémunérée d’une manière plus juste. Encore une fois, la créativité de l’artiste est le fruit de son principe de dignité. « Les femmes ne voulaient pas être photographié, donc pour garder leur dignité, j’ai utilisé un drone ». Le résultat est tout simplement superbe, une œuvre de beaux-arts, qui semble une peinture et qui évoque un dynamisme inévitable, au fait capturé en mode vidéo-installation (toujours à installer) par l’artiste audiovisuel Saint-Louisien.
Une manière de comprendre le cinéma, comme la photographie, en tant que créateur d’un cadre de dialogue, « qui permet de se poser des questions, mais aussi de se répondre, s’écouter et se parler, d’avoir une possibilité de s’exprimer à soi-même. Le cinéma doit nous réunir à la réflexion », continuait-il.
La conversation avec l’artiste a lieu autour de sons ouvre et cet endroit qui l’inspire, Ndar, où l’artiste a eu à pérenniser son regard. Son travail peut se trouver dans le Musée de la Photographie, avec un voyage dans le temps à travers les gares de Sénégal. Il s’agit du projet Gare Yi, exposé déjà à ndar ndar music and café, cet espace de confort inestimable au cœur de l’île de Saint-Louis, grâce à la charismatique gestion par Oumar Fall, encyclopédie de la musique africaine et offreur du meilleure café du Sénégal, ramené personnellement de l’Éthiopie. C’est aussi dans cet espace que Massow Ka-El Junio fréquent pour la réflexion autour son travail, dont le potentiel, en tant qu’archive du patrimoine du Saint-Louis et du pays, ne cesse pas d’imaginer des possibilités. « Quel est le sentiment par rapport à la gare ? Qu’est-ce qu’il y a dans le chemin de fer ? Comment ces espaces, apparemment abandonnés, ont été-ils réappropriés par la population, en se procurant des nouvelles vies et connotations ? Et qu’est-ce que l’état de ses gares disent par rapport à l’économe », se demande Massow Ka. Des questions invoquées visuellement, dans une période où l’on parle de restauration et récupération, mais aussi, de attribuer à la ville, au pays du Sénégal et le continent de l’Afrique, la place qu’ils méritent dans le monde.
Détail de l’exposition Gare Yi au Musée de la Photographie (Photo : Estrella Sendra, 22 mai 2023).